Disparition ou concentration des
Entrepreneurs de Travaux Forestiers
L’effet
chablis a précipité la modernisation de la récolte forestière, tout en mettant au grand jour
la fragilité de ce maillon pourtant essentiel de la filière bois, dont
les acteurs, faute de reconnaissance, font trop souvent les frais des intérêts
antinomiques entre détenteurs et utilisateurs de la ressource lors de leurs
transactions commerciales.
La
récolte forestière, métier ou simple
mobilisation de matière ?
Quelle image les Entrepreneurs de
Travaux Forestiers (E.T.F) ont-ils d’eux-mêmes ? Quelle image dégagent-ils
auprès de leurs différents partenaires ? Outre le flou institutionnel de
leur statut juridique qui a longtemps miné leur existence à part entière, les
E.T.F éprouvent des difficultés à définir leur véritable identité et à
valoriser à sa juste valeur le travail qu’ils réalisent.
Sont-ils encore bûcheron,
débardeur ? Sont-ils encore les professionnels compétents et
reconnus de l’abattage, du débardage ? Sont-ils encore les “gens du bois”
qui ont la science d’une nature exigeante ou sont-ils devenus les mobilisateurs
stricto sensu de matière ligneuse pour l’industrie du sciage et du
papier ?
Place de l’E.T.F entre forêt
et marché des produits forestiers
Devant la montée en puissance des
unités de transformation et de leurs structures d’approvisionnement, qui
fixent des prix auxquels il faut se
plier, nombre de récoltants forestiers
jouent la carte de la mécanisation dont les gains de productivité espérés sont
supposés contrebalancer la stagnation des prix de leurs prestation… De fait, à
la “prise de risque” quotidienne
s’ajoute celle de perdre le goût
pour un métier qui ne valorise plus assez
l’initiative et l’homme qui en
est porteur. Une problématique à
laquelle il est urgent de répondre afin de redonner confiance à beaucoup
d’acteurs désabusés par un métier qui, pourtant au fond d’eux, les passionne
mais ne les rémunère plus assez !
Le recours à la main d’œuvre étrangère, après les Espagnols, les Italiens, les
Turcs et à présent les ressortissants des Pays de l’Est, devra-t-il par la
force des choses s’intensifier ?
Le rapport Bianco soulignait déjà
l’importance de la reconnaissance du positionnement économique des
Entrepreneurs de Travaux Forestiers dans la chaîne de
transformation-valorisation du matériau bois. Un positionnement qui dépend
d’une part de la volonté de l’administration d’apporter des réponses aux
distorsions économiques, d’autre part de la volonté des acteurs de réorganiser
les rôles entre donneurs d’ordres et Entrepreneurs de Travaux Forestiers.
L’activité forestière a changé de
cap, forcée par les pressions climatiques et économiques. Il est donc urgent
d’établir un dialogue constructif entre filière forêt bois et pouvoirs publics
afin de reconsidérer le métier d’Entrepreneur de Travaux Forestiers et les
desiderata économiques des hommes qui le pratiquent.
Fragilité
d’un milieu ?
Ils seraient en France, et selon l’estimation de
D’après
l’estimation de la fédération nationale, qui a fusionné avec celle des
Entrepreneurs de Travaux Agricoles en 2003, 25 % des effectifs auraient disparu
ces dernières années. L’exploitation des chablis a procuré un surcroît de
travail. Il a contribué à remodeler le secteur par le rajeunissement de son parc machines. Ce dernier a connu une explosion de plus de 120 % en 2000 des ventes d’engins
forestiers : débusqueurs, porteurs, abatteuses, têtes d’abattage. Selon
une étude de l’Afocel [1]
3 200
engins forestiers étaient en fonctionnement en 2004 dont 540 machines de
bûcheronnage : 418 machines automotrices et 122 têtes seules montées
essentiellement sur des pelles mécaniques. Les 540 engins auraient fournis plus
de 9 millions de m3 soit 44 % de la récolte de résineux ou encore 24
% de la récolte totale. Plus éloquent, s’il faut encore prouver le bond de
productivité assuré par le machinisme, est la productivité moyenne par machine
qui est passée de 8 000 m3/an en 1988 à 17 000 m3/an
en 2002. Les spécialistes misent sur 20 000 m3/an et par
machine à l’horizon 2010…
Ventes
d’engins forestiers en France de 1999 à 2002
(AFOCEL 2003) |
||||||
|
Débusqueurs |
Porteurs |
Abatteuses |
Têtes
d’abattage |
Total général |
Evolution
annuelle |
1999 |
79 |
101 |
58 |
17 |
255 |
|
2000 |
180 |
180 |
104 |
103 |
567 |
+ 122 % |
2001 |
50 |
115 |
69 |
16 |
250 |
- 56 % |
2002 |
29 |
65 |
48 |
18 |
160 |
- 36 % |
Mais, avec l’après tempête et le retour à
l’exploitation des bois verts, ces “jardiniers de la nature” ont bien du mal à
imposer une reconnaissance légitime auprès des administrations, des
gestionnaires, des propriétaires privés et publics, des donneurs d’ordres
qui, avant tout, sont préoccupés par la
course économique et le prix bas des prestations.
Ces donneurs d’ordres,
essentiellement scieurs, exploitants forestiers, coopératives, papetiers, propriétaires forestiers cherchent à gagner
des points de compétitivité, et on peut les comprendre tant le rang est dur à
tenir dans le concert économique du bois. Mais à quel prix au bout du compte
pour ceux qui récoltent la matière première et qui veulent en vivre ? Y a-t-il adéquation
entre ce que proposent les donneurs d’ordres et le souhait économique de
l’E.T.F pour que ce dernier perdure dans l’exercice de son métier ?
« Le service rendu aux donneurs
d’ordres n’est vraiment pas rémunéré à sa juste valeur » affirme
François Pasquier, E.T. F dans le Territoire de Belfort et représentant le
secteur forêt à la structure nationale des Entrepreneurs des Territoires. En
effet, dit-il : « Les
efforts de productivité tant en terme de quantité que de qualité ne sont pas
reconnus. L’apport à l’industrie n’est pas pris en compte en ce qui concerne le
tri en forêt. Ce sont des coûts en moins
pour les donneurs d’ordres qui ne sont pas répercutés sur les
récoltants. Sans parler des impacts, sur les arbres restants et sur les sols,
qui ont considérablement baissé. Tout cela représente une plus-value mais
jamais reconnue financièrement. On fait beaucoup plus et beaucoup mieux
qu’avant mais on continue à nous taper dessus… On nous impose à présent
des contraintes socio-économiques comme
le passage des cours d’eau aménagés mais personne ne veut payer le plus que
l’on demande ! ».
Précarité
des travailleurs de la forêt et contre-publicité pour le métier ?
Danger permanent, aléas climatiques et fatigue physique, stress
des investissements de plus en plus onéreux pour des machines complexes donc plus
fragiles, poids des charges sociales font que « l’Entrepreneur de Travaux Forestiers est de plus en plus marginalisé
et donc précarisé » selon
François Pasquier.
Les abandons d’activité dans
l’amertume s’enchaînent. Alors, comment
s’étonner que les centres de formation voient aussi fondre leurs
effectifs et pire que tout « constater,
impuissants, que de moins en moins de jeunes ou d’adultes formés ne se “mettent
à leur compte” alors même que le marché de la récolte forestière semble
stabilisé. Sauf que les prix ne bougent pas depuis des années » avance
Jean Gilbert, le directeur du centre forestier de Marlhes dans
Les jeunes ne sont plus attirés par le métier !
Quoi d’étonnant puisque ceux qui devraient leur donner la passion de la forêt,
leurs aînés, désertent bûcheronnage et débardage. Ils font bon gré mal gré
de la contre-publicité pour une profession où ils ne trouvent plus leur place !
Un angle d’attaque sur lequel se penchent, depuis de nombreux mois, les
responsables français des centres de formation forestière pour trouver des
solutions qui doperaient le recrutement et surtout l’engagement professionnel
en fin de cursus scolaire.
L’E.T.F, gestionnaire avant tout ?
Le
récoltant forestier, en moins de vingt ans, est passé d’un statut de salarié à
la tâche à celui de chef d’entreprise.
Les
métiers de bûcheron ou de débardeur ne sont plus des activités de
non-professionnels destinés à “arrondir les fins de mois” comme pour bon nombre
d’agriculteurs qui “allaient au bois à temps perdu” mais des métiers à
part entière avec la gestion technique et budgétaire d’une entreprise. A présent, le sentiment de
liberté qui a toujours prédominé chez les forestiers lorsqu’ils sont sur le
terrain est vite balayé par le retour le soir aux réalités économiques des
“coups de téléphone”, des papiers
administratifs à tenir à jour et des bilans financiers à fournir au comptable
et au banquier… Passer d’un petit capital
à des sommes très importantes change la nature de la gestion et réclame
une adaptation délicate. Le métier d’E.T.F devient hautement technique avec un
capital engagé particulièrement lourd.
Etre
forestier aujourd’hui, c’est être capable d’établir des calculs de prix de
revient, de gérer non seulement au jour le jour mais aussi de projeter l’évolution
de l’activité de son entreprise sur plusieurs années. Bref, être un bon
gestionnaire comme dans toute entreprise. Sans oublier que le métier mobilise
avant tout une force de travail conséquente même si la mécanisation l’a allégée
ces dix dernières années. Des propos que
confirme Bruno Jaquet, bûcheron débardeur dans le Haut Beaujolais depuis plus
de vingt ans : « il faut “taper
dedans” c’est certain pour vivre de ce métier, mais il faut reconnaître que les
conditions de travail se sont améliorées avec la mécanisation, quoi qu’on en
dise. Lorsque l’on a commencé avec du matériel agricole, on mesure
l’évolution… ».
Le travail à présent semble bien se
dissocier entre ceux qui font de l’abattage manuel en associant systématiquement le débardage en
direction des gros bois et des chantiers difficiles et ceux qui réalisent des
chantiers mécanisés associant abatteuse et porteur. Aujourd’hui, lance Gérard
Achaintre, E.T.F entre Rhône et Saône et Loire, et spécialisé dans l’abattage
mécanisé « le mode de travail a
changé. Il faut se déplacer loin. Un chantier là, un autre ici. Sur le créneau
de l’éclaircie, on a du travail. Nous venons de renouveler notre matériel ».
Mais,
la difficulté réside dans la négociation avec les donneurs d’ordres, qui le
plus souvent pour les grands groupes
fixent des prix sans prendre
connaissance des réalités du terrain d’exploitation. Un sentiment de dépendance qui n’est pas
facile à “avaler” pour les acteurs de la récolte forestière.
L’avenir :
spécialisation ou diversification ?
En moins de vingt ans et avec la
concentration des donneurs d’ordres, surtout les scieries qui ont perdu plus de
50 % de leur effectif, il n’est pas
rare de travailler pour seulement deux à
trois clients, alors qu’avant le panel était de quinze à vingt. Ce
rétrécissement pousse beaucoup d’entrepreneurs à se diversifier en vertical par
une intégration des travaux de sylviculture, bûcheronnage, débardage, transport
ou en horizontal par des interventions sur d’autres marchés comme la vente de bois,
les travaux d’aménagement de pistes, les marchés urbains de l’élagage et de
l’entretien d’espaces verts, les travaux d’andainage après l’exploitation, la production de
plaquettes forestières pour le bois énergie et enfin le saut vers la première
transformation par la création d’activité de sciage mobile ou la reprise de
scieries fixes…
Verra-t-on, comme dans
l’agriculture, le regroupement d’Entrepreneurs de Travaux Forestiers qui mutualiseront des compétences
et surtout des outils de production pointus
afin de rentabiliser des matériels trop onéreux pour de petites entreprises
?
Au bout du compte, il y a ceux qui
resteront en forêt et qui seront forcés
d’évoluer dans le sens de la mécanisation pour apporter davantage de capacités
de services en termes de volume et de prix. Ils travailleront aussi dans le
sens d’une organisation des prestations rationnelles et efficaces auprès de clients toujours plus
pressés. Ce faisant, il leur faudra investir une masse de capitaux
considérables, faire face à des besoins en trésorerie toujours plus élevés,
maîtriser parfaitement leur coût d’exploitation notamment en ayant recours à
une main-d’œuvre formée et productive capable de leur garantir des rendements
élevés et qu’ils devront rémunérer correctement. De même, en collaboration avec
leurs constructeurs et donneurs d’ordres, ils devront être capables de trouver
les marchés qui correspondent à leurs choix techniques sans y déroger ni céder
aux mirages de la technicité trop onéreuse…
Il y aura ceux qui tourneront le dos
à la forêt, au risque de ne plus y revenir, pour s’investir dans des travaux
plus variés et rémunérant davantage
l’engagement personnel et financier. L’avenir proche le dira…
En tout cas et comme l’avance,
Julien Patin, débardeur à cheval dans le Tarn : « le pessimisme n’a jamais fait avancer les
choses, alors il faut continuer à croire en ce métier qui de par sa rudesse ne
peut se faire sans passion ». La
traction animale, une niche, où une vingtaine d’entrepreneurs ne semblent pas souffrir des mêmes
contraintes économiques que leurs confrères mécanisés sans pour autant être
plus considérés alors qu’ils sont véritablement reconnus en Belgique et en
Allemagne, des pays beaucoup plus sensibles à l’écologie forestière. Julien
Patin le confirme : « c’est un
travail de qualité pour un coût raisonnable. Sur des zones ciblées, le débardage par traction animale
n’est pas un luxe mais une façon rentable d’exploiter la forêt en
misant sur l’avenir du peuplement restant ».
Le
modèle nordique arrive en France ?
Moins poussés par le productivisme
qui est entré véritablement en forêt depuis la tempête de 1999, les débardeurs
à cheval continueront à bénéficier d’un rapport à la forêt qui mise sur une
logique du vivant alors que leurs confrères prennent de plein fouet, sans y avoir été toujours préparés, une
logique industrielle qui impose son triptyque : prix, compétitivité et productivité sans aucune concession. Un
modèle qui ressemble de plus en plus à celui des pays nordiques où la
dépendance est entièrement vouée “aux gros propriétaires” qui sont aussi des
transformateurs industriels où le gigantisme règne. Les spécialistes avancent
une production moyenne en Finlande qui serait de 40 000 m3/an
et par machine en double poste. Le résultat, un productivisme qui commence à
faire des dégâts sur les hommes tant le stress et la “prise de risques” sont
devenus courants… En arrivera-t-on là en France dans un pays où paysages géographique et sociologique sont
totalement différents et où règne la diversité des peuplements, des
propriétaires et des transformateurs ? On s’en approchera chaque fois que
la solution industrielle pourra être employée. Le présent le prouve ! La
machine coupe de plus en plus gros et se fraie des passages là où il y seulement
cinq ans, avant la tempête, personne n’aurait osé s’aventurer …
Cependant, qui ira récolter les
arbres dans les massifs inaccessibles, Alpes, Pyrénées, où seules la main et l’expérience du bûcheron
et des derniers câbleurs sont acceptées
? De même, à la vue du parcellaire
forestier très morcelé, comment se négociera l’exploitation de chantiers trop
petits pour rentabiliser le déplacement d’une abatteuse ?
Restera alors à trouver des
solutions politiques qui opteront pour le subventionnement total de l’exploitation
forestière ! Les récoltants forestiers ne souhaitent pas aller dans le
sens de l’assistanat mais dans celui d’une reconnaissance légitime et
responsable aussi bien de la part des donneurs d’ordres que des pouvoirs
politiques et législatifs…
Certes, la concertation n’est pas de
mise dans ce milieu, la transparence sur les prix n’existe pas, l’engagement
syndical ne séduit pas les foules, et en ces temps de restructuration avec
l’entrée en force de la mécanisation, trop d’E.T.F disparaissent dans une
indifférence générale.
Les jeunes qui souhaitent se “mettre
à leur compte” doivent le savoir. Aussi, il conviendra que les acteurs de la
filière bois leur consacrent du temps, leur fassent partager leurs compétences,
leur passion et acceptent surtout de les
guider dans leurs premiers mois d’existence.
TEMOIGNAGES :
SAVOIR-FAIRE
ET SAVOIR COMPTER, LES DEUX ATOUTS DE L’E.T.F
Lionel Amin, formateur forestier
en B.E.P.A et Bac Pro. à l’école du bois
de Lamure-sur-Azergues (69) fait un état sur le métier d’Entrepreneur de
Travaux Forestiers.
Observatoire du métier de la
scierie : Sur quoi repose la réussite d’un E.T.F ?
Lionel Amin : La réussite
de l’Entrepreneur de Travaux Forestiers repose sur un savoir-faire technique
dans l’utilisation et la maintenance de son matériel, sur des compétences en
matière d’organisation, mais surtout sur la capacité à “savoir compter” et
bâtir son expérience en consignant scrupuleusement ses produits et charges dans
chacun des chantiers traités. Il faut être capable d’estimer correctement les
difficultés d’un chantier eu égard à ses compétences, son matériel et ses
rendements journaliers moyens. Il faut alors entamer une négociation avec les
donneurs d’ordres « sans lâcher systématiquement le morceau » et savoir
dire non. En résumé être capable de
défendre des coûts de prestation et amener ses partenaires,
propriétaires comme donneurs d’ordres, à prendre conscience que chacun doit
atteindre son seuil de rentabilité… Il faut bien admettre qu’il est de plus en
plus difficile de négocier avec les collaborateurs de mégas structures,
scierie, coopérative, papeterie, qui s’en remettent trop facilement parfois à
un prix rendu usine à ne pas dépasser et proposent des prix de marché sans se
soucier du coût véritable de la récolte.
En outre, certains E.T .F
“papillons” qui ne passent que quelques mois ou quelques années dans le métier
parasitent depuis toujours les transactions par le bradage de leurs
prestations, notamment au jour d’aujourd’hui où banquiers, administrations et donneurs
d’ordres ont mis sur le marché de la tempête de 99 des gens qui n’avaient pas
le savoir technico-économique requis pour perdurer.
O.M.S : Comment voyez-vous l’avenir de
la formation forestière ?
L.A : Face à ces constats, la
formation tant technique qu’économique doit encore s’imposer.
A commencer d’ailleurs par celle des
formateurs… Je ne pense pas être le seul dans ma profession à devoir
approfondir sérieusement des connaissances mécaniques, électriques,
hydrauliques indispensables à la maintenance des matériels d’aujourd’hui. Si je
reste convaincu que les jeunes doivent être au centre d’ un rapprochement
entre constructeurs, utilisateurs et centres de formation face à l’inéluctable
mécanisation de la majeure partie de l’exploitation forestière, en revanche, je
ne vois aujourd’hui personne capable de mener à bien ce chantier.
O.M.S : Quelle réponse devra donner la
formation face aux changements futurs ?
L.A : Chacun devra prendre ses responsabilités et tenter
d’apporter une part de réponse aux carences futures en bûcherons manuels et aux
besoins en chauffeurs d’abatteuses
prévus par l’Afocel à l’horizon 2010. On
n’annonce une diminution d’effectifs de près de 500 salariés par année et un parc machines qui devrait s’amplifier
d’environ 1100 engins avec 650 nouveaux conducteurs à recruter. Le constat est clair : moins de
bûcherons manuels soit 3 000 salariés, bûcherons essentiellement devraient
disparaître entre 2004 et 2010 : soit l’équivalent travail de quelque 400
machines de bûcheronnage …
O.M.S : Comment accompagner les jeunes
vers la création d’entreprise de travaux forestiers ?
L.A : Un véritable suivi devra être
mis en place au sein des centres de formation pour accompagner, en partenariat avec
des professionnels déjà implantés, des jeunes désirant reprendre le flambeau.
Il s’agirait alors, pour chacun des partenaires impliqués d’actionner des
leviers à bon escient pour permettre au jeune entrepreneur d’éviter certains
écueils fortement préjudiciables à la pérennité de son entreprise.
Mais le plus dur reste encore à
faire : convaincre les jeunes que l’on peut vivre correctement du métier et leur montrer
les attraits du travail en forêt sans
leur cacher qu’il faut être un
“gros bosseur”, ne pas compter ses heures, et faire preuve d’audace, surtout si
l’on ne part de rien et que l’on veut investir…
TRAVAIL EN
FLUX TENDU EN ABATTAGE MECANISE
Entrepreneur de Travaux Forestiers à Borée (07), Jean-Marie CUOQ est le
spécialiste de l’abattage mécanisé, puisqu’il le pratique depuis plus de quinze
ans. C’est avec recul et pragmatisme qu’il parle de son activité.
Observatoire du métier de la scierie :
Quel est le système de production ?
Jean-Marie CUOQ : Nous
possédons cinq abatteuses à chenilles (CIMAF, TIMBCO, M.H.T). Cinq chauffeurs
les conduisent et un mécanicien, depuis dix ans, assure la maintenance à l’atelier de l’entreprise
mais aussi sur les chantiers quand cela est nécessaire.
O.M.S : Quel est votre type de
production et votre terrains d’action ?
J.M.C : L’abattage du
résineux en éclaircie et en coupe à blanc de l’Ardèche au Morvan.
O.M.S : Quels sont vos donneurs d’ordres et quelles sont leurs
exigences ?
J.M.C : Scieurs,
exploitants forestiers, papetiers sont nos
donneurs d’ordres. Au fil des années, on travaille de plus en plus en flux
tendu. Il y a moins de stocks chez les transformateurs donc cela nous impose
une réactivité permanente. Il a fallu
s’adapter.
O.M.S : Le métier change
se concentre, qu’en pensez-vous ?
J.M.C : À présent, il
faut constamment essayer d’évoluer. Les choses vont très vite aujourd’hui. Il
convient de suivre les évolutions du matériel et surtout de gérer au mieux
l’organisation des chantiers et le temps disponible. Le calcul est simple. Pour
perdurer, il faut tout optimiser car les charges ne cessent d’augmenter et les
prix de prestation stagnent depuis quinze ans. A l’heure actuelle, il faut
travailler correctement et c’est comme cela que la réputation se fait. Le
relationnel avec les donneurs d’ordres doit être maintenu pour faciliter les
actes commerciaux. .
Beaucoup de gens sont apparus après la
tempête, ceux qui ont disparu
aujourd’hui n’étaient peut-être pas de vrais professionnels de la forêt… On ne
s’improvise pas forestiers comme cela. Ce n’est qu’un rééquilibrage au bout du
compte. Aujourd’hui être un gros travailleur ne suffit plus. Il faut être près
des cordons de la bourse et surtout être bien entouré avec du personnel sérieux
qui sait analyser des situations et prendre les décisions qui s’imposent.
O.M.S: Comment voyez-vous
l’avenir ?
J.M.C : Il n’y aura
pas de grands changements au niveau technique. Notre avenir dépend surtout de
l’aspect économique du secteur de la transformation et des seuils de coûts de
la mobilisation. Trop tirés vers le bas, ils pourraient nous mettre en
difficulté et rendre nos affaires non rentables… L’avenir le dira…
E.T.F ET
JARDINIER DE
Entrepreneur de Travaux Forestiers dans la vallée d’Azergues (69)
depuis 1999, juste avant la tempête,
Philippe Chassignol, après avoir participé activement à l’exploitation des
chablis, a réorienté son activité vers la diversité des prestations.
Observatoire du métier de la scierie :
Comment s’organise aujourd’hui votre activité ?
Philippe Chassignol : Mon activité,
c’est avant tout la diversité. De l’abattage forestier à près de 50 %, de la production de bois de chauffage à
40 % et pour les 10 % restants des
travaux spéciaux dans les parcs de maisons
privées et l’aménagement des cours d’eau. Je suis également producteur
de foin sur les terres agricoles familiales.
Mon tracteur Jonh Deere 95 et une remorque forestière Patu
me sont très utiles pour l’activité bois de chauffage.
O.M.S : Quelle est votre clientèle
et quelles sont ses exigences ?
P.C : Ma clientèle
est variée. Il n’y a pas de client unique. Ce sont des scieurs, particuliers,
communes, communautés de communes. Dès le début, je n’ai pas voulu entrer dans
le système de la production qui contraint trop aux prix sans cesse tirés vers
le bas. Je préfère les chantiers qui font appellent au professionnalisme de
l’abatteur et au respect de l’environnement. Le travail de parc, très
intéressant, en est l’illustration. Le droit à l’erreur n’est pas admis.
O.M.S: Quel regard portez-vous sur votre
métier ?
P.C : Si je n’avais
pas eu cette diversité vers l’élagage,
vers les prestations pour les particuliers et les collectivités, je ne pense
que j’aurais continué. Je ne suis pas
attiré par la production mécanisée car la prise de risque financière est énorme
au regard de la fragilité du marché. De part l’option prise, je suis aujourd’hui
très indépendant et peu lié aux donneurs d’ordres. Ce qui me permet de trier mes clients. Au
bout de six ans et avec le panel de clients acquis, je suis le passeur de bois
entre les propriétaires et les acheteurs potentiels. Cela m’assure, ensuite, la
prestation à un prix correct. La formation est un élément fort. Cela permet de
discuter avec les donneurs d’ordres et d’être une force de proposition.
Malheureusement, il y a une énorme déperdition entre le nombre que nous étions
en B.T.S et ceux que l’on retrouve sur le terrain. Le métier n’est pas valorisé
tant culturellement que financièrement, ce qui n’incite pas à y rester !
C’est dommage car j’ai le sentiment de faire un beau métier
DE
L’ABATTAGE MECANISE A
Joseph Genthial et ses deux fils animent l’Entreprise de Travaux
Forestiers positionnée dans le Massif du Pilat (42). Cultures agricole et
forestière ont poussé cette équipe de professionnels passionnés vers une
diversification accrue de leur activité.
Observatoire du métier de la scierie:
Comment êtes-vous arrivés aux travaux forestiers ?
Joseph Genthial : L’activité
agricole n’étant pas suffisante avec vingt-trois hectares, je m’installe à mon
compte en 1970. Mes deux fils rejoignent
l’entreprise qui devient S.A.R.L en 1997.
O.M.S : Comment est organisée votre
activité aujourd’hui ?
J.G : Autour des
travaux forestiers bien entendu : abattage, débardage, ouverture de piste,
préparation du sol pour plantation, défrichage, giro-broyage, travail en milieu
très accidenté à la pelle araignée, production de plaquettes forestières pour
chaufferie. Nos clients sont O.N.F,
particuliers, coopératives, scieries, communes.
O.M.S : Quels sont vos outils de
production ?
J.G : Un débardeur
Franklin 405, un porteur FMG 1440, une pelle sur chenilles FH 200 équipée d’une
tête d’abattage, une pelle sur chenilles FH 200 équipée d’un croque souche, une
pelle sur chenilles FH 200 équipée d’un râteau, une pelle araignée, un tracteur
agricole Renault 133-14 blindé avec giro-broyeur, un déchiqueteur Biber 7 plus
pour plaquettes.
O.M.S : Quelles sont les exigences de la
clientèle ?
J.G : Des délais de
réalisation de plus en plus courts, du travail de grande qualité mais aussi le
respect des conditions de sécurité et surtout de l’environnement.
O.M.S : Comment se porte le
métier ?
J.G : Pour vivre de
ce métier il faut être passionné car les prix sont de plus en plus tirés en
raison de la concurrence, de l’offre et de la demande. Il demande de s’adapter,
surtout après la tempête, et pour trouver sa place, il faut de plus en plus se
diversifier. L’avenir va être difficile avec la baisse d’activité. La polyvalence
est une des clés de la réussite, mais elle engendre l’acquisition d’un parc
matériels important donc plus difficile à amortir.
O.M.S : Avec cette diversité des
travaux forestiers est-il toujours possible de former des jeunes ?
J.G : Les jeunes qui
viennent du milieu agricole ou forestier et qui ont déjà une expérience
personnelle savent se débrouiller. Pour les autres c’est plus difficile. En
sortant de l’école, la maîtrise en sécurité d’une tronçonneuse et d’un engin de débardage n’est pas toujours acquise. Cela rappelle que nous
avons un métier exigeant qui a grimpé en
technicité et qu’il faut former les jeunes à cela dans les écoles forestières
qui aujourd’hui possèdent presque toutes du matériel approprié : tracteur,
porteur, abatteuse. Ne pas oublier la dangerosité et mettre ainsi la sécurité
toujours au premier plan.
S’ADAPTER
AUX COURS INTERNATIONAUX DU SCIAGE
Il n’est pas facile d’être bûcheron débardeur en zone de montagne.
Pourtant, là où la machine ne va pas, il faudra encore des spécialistes pour
exploiter la forêt. Gilles Pesenti du Bugey (01) fait le bilan de son activité.
Observatoire du métier de la scierie :
Comment s’organise aujourd’hui votre activité ?
Gilles Pesenti : J’exploite le
résineux en abattage et débardage. Je possède un Camox 175. Mes prestations
sont axées sur le gros bois. Mais les volumes moyens baissent. De 2 à
O.M.S : Quelle est votre
clientèle ?
G.P : Notre
clientèle est constituée de scieurs,
de propriétaires forestiers publics et privés, de coopératives.
O.M.S : Quel regard portez-vous sur
votre métier ?
G.P : Il faut toujours se battre sur les prix
de la prestation. Mais finalement et avec le recul, on est comme dans les
autres métiers : on subit la loi du marché et les pressions de nos
donneurs d’ordres (communes forestières, propriétaires forestiers,
acheteur des scieries et des coopératives). Il faut faire avec ce qui reste. On
doit s’adapter aux cours internationaux du sciage comme nos clients. Ne pas
toujours « massacrer » les donneurs d’ordres. Eux aussi ont leurs
contraintes. Il n’empêche qu’une revalorisation de notre travail de 15 à 20 %
serait la bienvenue !
La réduction de 1 % de la taxe professionnelle nous a donné une
bouffée d’oxygène mais nous restons écrasés par des charges qui sont trop
importantes pour notre profession qui ne vend que de la main-d’œuvre… Il faut
avoir la passion et la vocation pour le métier car ce dernier est rigoureux. On
ne ménage pas sa peine ni ses heures. Notre monde est différent de celui de
l’artisanat. Nous n’avons pas une multitude de clients. On travaille toujours
pour les mêmes. Nous ne devons pas commettre d’impairs. Le droit aux erreurs,
gestion et technique, doit être minimisé.
O.M.S : Comment voyez-vous
l’avenir de l’exploitation de la forêt de montagne ?
G.P : Avec quarante
années d’expérience, je peux dire que le métier d’abatteur et de débardeur en
zone de montagne va être problématique dans l’avenir. En effet, il sera difficile d’être concurrentiel en futaie
jardinée où l’on pratique la « récolte cueillette ». La récolte
mécanisée tire les prix vers le bas mais les ruptures de pente arrêtent les
machines : résultat des forêts ne
seront plus exploitées faute de rentabilité. Pour l’instant, notre expérience
fait que nous sommes respectés et rémunérés à la hauteur de nos prestations.
Mais quand sera-t-il demain avec les jeunes ?
O.M.S : Comment comptez-vous
transmettre votre expérience ?
G.P : Avant dans
l’exploitation à risque en zone de montagne, on recevait l’expérience des
anciens. Aujourd’hui, il y a une rupture. On ne met pas en valeur les métiers
de la forêt. Trop d’images péjoratives nous collent à la peau et je trouve que
les concours de bûcheronnage qui mettent en avant « les gros bras »
nous desservent plus qu’ils nous valorisent auprès du grand public. Il y aura
pénurie de bûcherons bientôt. Il faut se mettre à la place des jeunes. Le
métier ne rémunère pas assez l’initiative et la pénibilité du bûcheronnage.
Pour les autres, la mécanisation a entraîné le découragement.
CABLISTE, UNE SPECIALITE EN VOIE DE
DISPARITION ?
Il reste moins de dix câblistes en France à exercer la difficile
extraction des bois en zone de haute montagne. Et la relève de ce métier de
passionnés et de spécialistes est loin d’être assurée par la poignée de
câblistes formés chaque année. Concurrencés sur des bases non équitables par
des câblistes des pays de l’Est, les professionnels français pourraient bien
disparaître…
Edmond Genin de Chimilin (38) fait le point de cette activité qu’il
exerce depuis vingt ans.
Observatoire du métier de la scierie : Comment
êtes-vous venu au câblage et quel est votre matériel ?
Edmond Genin : Au départ,
j’étais abatteur et débardeur et en 1995 je me suis lancé dans le câblage.
C’est un métier de passionnés et nous ne sommes pas nombreux à le
pratiquer : deux câbles mâts en Rhône-Alpes, un dans les Alpes du Sud, un
en Lozère et un dans les Pyrénées et
quelques équipes, 4 ou 5 avec câble long. Aujourd’hui, j’occupe l’essentiel de
mon temps au câblage et, en complément, je fais encore de l’exploitation
classique avec un Timberjack 380. Environ cinq mille m3 sont
exploités au total.
Je possède un câble mât d’une portée
de
O.M.S : Quelle est votre
clientèle et quelle sont vos zones d’action ?
E.G : L’O.N.F
principalement et peu pour les scieurs et les propriétaires. J’ai travaillé essentiellement en Savoie et
Haute-Savoie dans les zones de forte pente et les ravins où l’exploitation
traditionnelle des résineux est impossible.
Depuis le début d’année, je suis en
Moselle et j’exploite des bois en zones plates et très humides. L’ONF, soucieux
de conserver en état les sols, a proposé ce mode d’exploitation. Cela coûte un
peu plus cher mais il y a un respect de l’écologie forestière et on peut
débarder le bois par tous les temps.
O.M.S : Comment voyez-vous
l’avenir du câblage ?
E.G : Nous sommes
sur une niche et il y a du travail. Mais là comme ailleurs la concurrence est
présente : des équipes tchèques s’infiltrent et travaillent moins cher que
nous, comme dans les Alpes du Sud ou les Pyrénées.
S’il n’y a pas un souci à maintenir les
quelques équipes de câblistes français, nous n’aurons plus qu’à arrêter… Ce
serait dommage car notre savoir-faire risque de disparaître…
DE
L’ENTREPRISE DE TRAVAUX FORESTIERS AU COMMERCE
Etre entrepreneur de travaux forestiers dans
Observatoire du métier de la scierie :
Vous avez aujourd’hui 34 ans et en dix années vous êtes passé d’une activité
d’Entrepreneur de Travaux Forestiers à celle d’exploitant forestier. Comment
s’est déroulée cette mutation ?
Jean-François Toupet : j’ai quitté
mon premier métier qui n’avait absolument rien à voir avec la forêt par désir
de travailler le bois. Des opportunités familiales m’ont poussé à créer mon
activité d’Entrepreneur de Travaux Forestiers en 1995 dans la région du
Mont-Saint-Michel à Avranches (50). Au début, l’essentiel de mon travail était
centré sur les travaux forestiers
d’abattage et de débardage avec un tracteur Franklin 560 à double treuils pour
les scieries locales de feuillus. J’apprenais sur le terrain mon nouveau
métier, en même temps je m’essayais au
commerce. En 2000, avec l’arrivée des chablis, l’activité commerciale devient aussi
importante que celle des travaux forestiers.
O.M.S : Et aujourd’hui comment
s’organise votre activité ?
J-F.T : La partie travaux
forestiers ne représente plus que 5 % contre 95 % pour le commerce. J’achète 4
à
O.M.S : Pourquoi ce changement de
cap ?
J-F.T : C’est devenu
difficile d’être E.T.F. La production est trop poussée par le seul critère de
la productivité. Les tarifs n’évoluent pas et la prise de risques financiers
est devenue trop importante au regard
des investissements matériels. Il s’en suit une seconde prise de risques,
accident, maladie professionnelle en
raison de la productivité qu’il faut
assurer chaque jour. Le commerce génère aussi ses soucis financiers mais
je suis moins sous la pression des donneurs d’ordres.
O.M.S : Comment voyez-vous
l’avenir ?
J-F.T : Le commerce
du bois se concentre. De ce fait,
grosses entreprises, groupes ou
encore coopératives prennent peu à peu
la main sur les affaires. Pour nous, petits entrepreneurs et petits
exploitants, ils nous restent les propriétaires forestiers privés qui
apprécient encore le contact et le conseil avisé d’un seul interlocuteur. Au
bout du compte, je m’aperçois que le milieu change et j’en sais quelque chose
puisque je vis moi-même ces bouleversements depuis dix ans. Il n’est pas
impossible, à l’exemple de certains confrères, qu’un jour je ne fasse pas aussi
du négoce de produits sciés.
[1] Dossier AFOCEL « Le bûcheronnage mécanisé en France : enjeux et perspectives à l’horizon 2010 » Février 2005